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Ecrire, c'est transformer à l'aide de la grammaire un chagrin en bonheur. Jean d'Ormesson

Javelotte

Publié le 23 Juillet 2016 par Evglantine in Nouvelles

Ce matin, un ciel maussade s'accrochait aux versants des volcans. La limagne, vaste étendue de champs, masquait, trompeuse, routes et chemins sous un épais brouillard. Les bêtes piaffaient dans l 'étable, elles n'aimaient pas ce temps de fantômes.

L'humidité, les douleurs; elles exigeaient de sortir, de ne plus être enchaînées. Elles s'impatientaient, battaient le sol de leurs sabots, remuaient dans leur box. Leurs flans cognaient contre les murs fragiles et faisaient trembler toute la maison.

Le père, ivre de fatigue, grogna sur sa couche :

-" Que quelqu'un se dépêche de les faire sortit avant que le toit nous tombe sur la tête !"

Les frères se retournèrent sur leurs couches et attendirent que la plus jeune de la fratrie se lève.

Javelotte bondit hors de la tiédeur de ses couvertures, passe sas lourde pelisse de laine et sort. Des frissons parcoururent son corps, elle a peur de ces jours sans clarté.

L'obscurité du petit matin attire les pauvres hères affamés afin de lui disputer ses bêtes; elle n'a ni la force ni l'agilité pour les combattre. Elle se précipite dans l'étable, détache les deux grivals qui grognent et les pousse dehors sans ménagement. Les bêtes, deux montagnes de muscles sur pattes, au museau plat et petites oreilles pointues, s'élancent sur le chemin sans demander leur reste, heureuses de n'être plus attachées au mur. Javelotte les regarde un instant, puis siffle entre ses dents : les deux mastodontes s'arrêtent aussitôt de jouer et de gambader. Ils regardent la jeune fille à peine plus haute que la hauteur d'une de leur jambes, hésitent puis font demi-tour dans sa direction.

Dans la précipitation, ils la heurtent de leur flanc musclé. Javelotte se retrouve à genoux dans la boue. La pelisse est maculée, Javelotte a les larmes aux yeux.

- "Non ! Mais C'est pas vrai, ça ! Vous ne pouvez pas faire attention ! Je vous jure ! Mais regardez dans quel état vous m'avez mise ! Je vais avoir bonne mine au marché, moi, ce matin ! Allez, venez par là que je vous attache !"

Alors qu'elle se relève, Javelotte aperçoit un objet à moitié enseveli par la boue du chemin, conséquence des trois derniers jours de pluie battante. Plus par réflexe  que par curiosité, elle s'en saisit , toujours la peur qu'un objet tranchant ne vienne à blesser une de ses bêtes. En l'étudiant de plus près, elle constate qu'il s'agit d'une fibule en or sertie d'un rubis rouge sang. Elle n'en a jamais vu auparavant: Javelotte n'est qu'une petite paysanne pauvre de Prafréchat qui doit se rendre au marché de Lezoux tous les samedis, si elle veut que sa famille ait de quoi survivre pour la semaine. Consciencieusement, Javelotte la nettoie et l'accroche à sa pelisse, remplaçant ainsi la sienne faite en simple bronze et qui est déjà bien usée. A peine l'a-t-elle refermé sur son vêtement que le monde se met à tournoyer. Un vent violent et assourdissant se lève, balaye tout sur son passage. Bientôt, Javelotte ne voit plus ni ses bêtes ni sa maison. Elle a l'impression que le décor devant elle est en perpétuel changement. Elle croit  voir sa maison tomber en ruine, d'autres bâtiments s'ériger en lieu et place de l'étable. Elle aperçoit des gens qui courent ça et là, des corbillards passer, des petits enfants grandir, des bêtes se transformer.

Un coup de tonnerre ! Tout s'arrête net ! Plus de vent, plus de tourbillon !

Javelotte, toute étourdie, ferme les yeux, ils lui brûlent tant que des larmes coulent sur ses joues rosies par la violence du vent.

Doucement, elle les rouvre précautionneusement. Sa vision met quelques secondes à devenir claire. Javelotte ne reconnaît pas ce qu'elle voit autour d'elle. Des marches, une grande place devant elle, un bâtiment gigantesque. Peut-être est-elle sur le parvis d'une cathédrale ? L'édifice, contrairement à la cathédrale de Clermont toute en noire, est construit de pierres blanches, presque lumineuses sur le ciel gris. Ses flèches montent très haut, trouent les nuages sombrent qui s'amoncellent au-dessus d'elles. Javelotte se relève inquiète. Il n'y a personne autour d'elle. La place est vaste et pourtant désespérément déserte, pas âme qui vive. En se retournant, la jeune fille aperçoit une lourde porte qui lui interdit l'accès à l'édifice. Subjuguée parce qu'elle voit, Javelotte ne peut en détacher son regard. Elle n'a jamais vu pareil bois. Il est d'un rouge inquiétant, un rouge qui rappelle la couleur du sang. La porte mesure plus que ce qu'elle est capable de calculer. Elle est sculptée de haut en bas d'animaux fantastique et terrifiants. Des serpents gigantesques partent du haut pour voir leur gueule s'ouvrir juste au niveau des visiteurs. En posant la main sur la grosse poignée en faïence bleue, l'impression de se la faire dévorer était telle que Javelotte s'abstint de tenter sa chance. On y voit aussi des mammifères toutes dents dehors, des gorgones, des gargouilles, des méduses et autres montres tous plus terrifiants les uns que les autres.

Javelotte se sent vraiment toute petite devant ces gigantesques monstruosités. Le bâtiment est laid et repoussant. L’architecte ne devait plus avoir toute sa tête au moment de la construction. Des escaliers sortent des flancs pour se rendre sous les toits, enfin d'après ce que peut en voir Javelotte. Après avoir longuement étudié la porte, elle conclut que jamais elle n'aura le courage d'y poser la main. Elle fait alors demi-tour et se met à inspecter la place. De toutes parts de hautes maisons aveugles la cernent. Une sensation d'opression l'envahie. Pas une sortie ?  A s'attarder sur lesmaisons, Javelotte arrive à distinguer une toute petite rue qui s'enfuit derrière une plus large maison couleur tristesse, de l'autre côté de l'esplanade.

Javelotte descend les marches, bien décidée à explorer la rue quand elle entend un bruit sourd derrière elle. Un bruit qui lui laisse à penser que quelqu'un actionne une des lourdes portes. Elle s'arrête, tétanisée. Elle n'ose se retourner de peur de voir quelques géants ou autres monstres. Elle ferme les yeux, envoie une prière au ciel et prend son courage à deux mains.

Doucement, tout doucement, elle se retourne sans oser ouvrir les paupières. Quand elle a fait un tour complet, elle ouvre seulement les yeux, l'un après l'autre : d'abord le droit puis le gauche.

Javelotte ne peut réprimer un sourire.

 

Fibule Oméga

Fibule Oméga

Javelotte ne peut réprimer un sourire, l'homme qui se tient à la porte n'est guère plus grand qu'elle. Il porte un pantalon droit et bien repassé de couleur vert sombre, une veste en velours de même couleur ouverte sur une chemise d'un blanc immaculé avec un grand jabot qui lui descend jusqu'à la taille. Tout parait trop grand pour lui. Complétant la tenue, il arbore fièrement un chapeau rond tout aussi vert sombre. Le visage auréolé de cheveux blancs est buriné par le temps, les yeux ont la couleur de son costume et restent fixés dans un regard d'incompréhension sur Javelotte. Aucun sourire ne se dessine sur ce visage grave. La jeune fille se sent mal à l'aise face au regard inquisiteur de l'homme. Elle tente piteusement d'engager la conversation :

- Bonjour, je suis Javelotte et ...je ... Et je ne sais pas du tout ce que je fais là ! Je vous prie de bien vouloir excuser mon intrusion, mais si vous pouviez m'indiquer le chemin de Lezoux, je ne vous embêterai pas plus longtemps. Promis !" tente-elle d'expliquer, dans un murmure gêné.

Javelotte monte les trois marches qui la sépare de l'inconnu et s'approche de lui aussi près que sa peur le lui permet. L'homme, toujours dans l’entrebâillement de la porte, ne bouge pas, ne parle pas, et la laisse approcher. Un peu rasséréner par le comportement de l'habitant, elle se plante effrontément sous le nez de l'occupant des lieux. A Ce moment, l'homme sourit, se retourne et crie :

-" Je t'avais bien dit qu'il n'y avait personne ! Toi et tes impressions bizarres ! La prochaine fois, c'est toi qui te déplaces ! Combien de fois t'ai-je déjà dit que ..."

Javelotte ne saura pas la suite, le petit homme vert sombre referme vivement la porte sur elle. Pantoise, elle ne sait que faire.

-"Comment peut-il dire qu'il n'y avait personne ? J'étais juste sous son nez !" Javelotte se sent de plus en plus perdue. "Et si les gens ici, ne la voyait pas ? Comment fera-telle pour retourner chez elle ? " La panique commence à l'envahir.

Elle jette des regards perdus aux alentours : rien qui puisse la rassurer ! Les bras ballants, elle s'apprête à descendre les trois marches pour retourner vers la grande place. Alors qu'elle descends, la porte s'ouvre à nouveau. Le petit homme vert sombre sort doucement et referme la porte derrière lui avec milles précautions, comme s'il avait peur de se faire repérer. Javelotte n'ose plus bouger.

- "s'il passe à travers moi, c'est que je suis morte !" pense-t-elle tout d'un coup. L'homme s'arrête juste devant la jeune fille. Par réflexe, elle continue de descendre, on ne sait jamais ! Arrivée sur la place, elle s'arrête à nouveau, regarde par dessus son épaule et voit que le petit homme la suit. Javelotte se pousse sur le côté pour le laisser, par politesse et une légère inquiétude aussi. L'homme n'en fait rien. Il s'arrête devant elle, lui pose une main sur l'épaule et lui intime l'ordre de se taire en mettant un doigt sur la bouche. Il tire sur sa capeline pour lui demander de le suivre.  Heureuse d'être enfin vue,  Javelotte le suit sans mots dire. Tous deux quittent la ruelle, traversent le parvis de l'édifice, puis s'engagent dans une seconde rue. Les sabots de Javelotte résonnent dans la cité et créent un sentiment d'insécurité. L'homme stoppe la jeune fille, lui montre du doigt les sabots bruyants. Javelotte optempère et continue sa progression en collant de laine.

La rue ne semble pas avoir de fin. Ils marchent, encore et encore. Javelotte se demande si cette horrible rue de mur blanc s'arrêtera un jour. Elle a mal aux jambes et aux pieds, la fatigue la gagne, elle s'appuie contre un mur.

-" Non ! Non ! Il faut continuer, on peut pas s'arrêter, sinon il va savoir ! Faut pas s'arrêter !" lui glisse-t-il dans l'oreille. Il tire sur la pelisse pour qu'elle continue d'avancer.

-" Mais ..."

-" Chut ! Pas de bruit et avancez !"

Il est déjà reparti. Javelotte n'a d'autre choix que de courir derrière lui. On dirait qu'il a le diable à ses trousses. Claudiquant et gesticulant comme un fou, il accélère encore. Javelotte désespère de voir la fin de son calvaire. Les hautes maisons sont tristes et sombres, certaines ont les murs décrépits, d'autres ont les portes défoncées, comme si quelqu'un était entré de force. Aucune de ces bâtisses ne semblent habitées. Pas âme qui vive ! Pas d'oiseaux non plus, pas de chien ou de chat, rien que le silence. Tout respire la désolation et la tristesse dans cette rue sans fin.

Enfin, un rai de lumière, Javelotte reprend espoir. Du bruit ? La jeune fille perçoit du bruit, un bruit qui lui ait familier. Des voix, des pas, des rires, c'est un marché !  Javelotte connait bien les bruits que l'on entend sur un marché. C'est un marché ! Javelotte presse le pas, elle veut voir. A bout de l'interminable rue, une place. Une place comble : des femmes, des enfants, des hommes, des jeunes, des vieux, des animaux, du monde ! Enfin, du monde ! Une mouche se heurte contre le front de la jeune femme. Javelotte ne sait où donner de la tête. Après tout ce silence, les bruits l'étourdissent. Le petit homme la tire une fois encore par la pelisse. Javelotte se cogne contre un panier en osier qu'elle n'avait pas remarqué, se rattrape difficilement, mais cela ne perturbe pas l'homme vert sombre.  Il se fraye un chemin dans cette foule, bouscule, zigzague, s'énerve mais avance rapidement. Javelotte et son guide sont de l'autre côté de la place mais la jeune fille serait bien en peine de dire comment elle a réussi à le suivre tant il zigzaguait entre les gens et les stands. Face à eux, une chapelle. Sans prendre le temps de ralentir, le petit homme pousse la porte en bois  et entre dans la bâtisse. L'obscurité et le silence les cuillent à l'entrée. Javelotte n'y voit plus rien et tente d'avancer à tâtons.

Une voix grave résonne :

- " Yaël ! Qui t''autorise à mener cette personne dans le sanctuaire ? Ne craindrais-tu plus la colère des Dieux ?"

- " Maitre, elle a la fibule ! Elle a la fibule ! se contente-il de répondre plus exciter qu'un nouveau communiant.

- " La fibule ? En es-tu parfaitement sur ?" demande la voix grave.

- " Sans aucun doute possible, Maitre Evloghie! Sans aucun doute !"

Celui que le Maitre a nommer Yaël et que Javelotte appelait 'l'homme vert sombre" est au comble de la joie. Pour un peu, s'il savait, s'il pouvait, il danserait sur place.

- "As-tu bien fermé la porte ?" demande Maitre Evloghie, la voix radoucie par cette bonne nouvelle.

- "Assurément, Maitre. Personne n'a fait attention à nous quand nous sommes entrés et personne ne sait que nous l'avons enfin retrouvé ! Nous avons la fibule !"

- " Je te repose la question : en es-tu bien sur ? Ne serait-ce pas encore une de tes manigances dans l'espoir d'obtenir quelques faveurs ?"

- "Maitre ! Je vous le jure ! C'est bien la fibule que vous recherchez, il n'y a là aucune manigance. Si je mens que je sois foudroyé sur place, à cet instant même !"

- " Ne me tente pas trop, Yaël, ne me tente pas trop. Approchez jeune fille, que je puisse juger par moi-même de la véracité des dires de ce menteur chronique."

Javelotte, qui commence à s'habituer à la demi-obscurité du lieu, cherche du regard dans quelle direction avancer. La chapelle semble vide ! A l'exclusion du trône rouge sombre au centre de la nef, elle ne perçoit rien d'autre qu'une petite porte sur le côté gauche. Elle hésite, reste plantée, n'ose faire un pas.  C'est alors que la porte entraperçue s'ouvre doucement, sans bruit, tourne sur ses gonds et laisse passer une lourde silhouette enveloppée dans une cape terne, une capuche tombant sur le visage. La silhouette s'avance jusqu'au fauteuil et s'y assoie sans plus de cérémonie. Avec des gestes précautionneux, la silhouette retire la capuche. Javelotte écarquille les yeux, son cœur s’affole dans sa poitrine et ses jambes flageoles sous l'émotion. Elle n'a jamais vu semblable visage.

 

Praeneste fibula

Praeneste fibula

Elle n'avait jamais vu un visage semblable : il illumine.

A ce moment, un détail qui l'avait intrigué sans vraiment se définir prend corps dans l'esprit de Javelotte : toutes les personnes rencontrées sur le marché portaient une capuche leur cachant le visage, enfants compris. Elle écarquille les yeux : quel visage ! Jamais elle n'avait si beau visage ! Javelotte s'oblige à faire une révérence devant l'homme assis dans le fauteuil.

- Maitre, se contente-elle de dire cérémonieusement puis lance un regard interrogatif à Yaël, homme sans capuche au visage buriné et ridé. Le petit homme se contente de lever les épaules en signe d'ignorance. Mais le "Maitre" ne la laisse pas plus longtemps se poser des questions :

- Qui es-tu ? Que veux-tu ? Qui t'a donné cette fibule ? Comment oses-tu l'arboré aussi fièrement sur une pelisse de si piètre qualité, il me semble ?

- Je suis Javelotte GUILLEMET de Prafréchat, simple paysanne. J'ai trouvé la fibule en tombant dans la boue, renversée par mes grivals alors que je les rentrais. La voix n'est pas aussi assurée qu'elle le souhaitait, et elle n'est pas aussi droite qu'elle le pense, mais la jeune fille fait tout ce qu'elle peut pour ne pas montrer sa peur.

- Des grivals ? Qu'est-ce donc cela ? 

- Des animaux de ferme.

- De ferme ? Qu'est-ce cela ?

- C'est un endroit où j'élève des animaux que je revendrai ensuite au marché, ce qui me permettra de nourrir ma famille.

-  Aucun intérêt ! Coupe Maitre Evloghie d'une voix agacée.

- Sais-tu, petite sotte, que tu as osé accrocher à ton ... à tes hardes, un précieux bijou responsable de l'anéantissement de mon royaume ?

Se sentant coupable d'un crime qu'elle n'a pas commis, Javelotte tente de retirer ce maudit objet. Ses mains tremblent et l'exercice semble plus périlleux qu'il ne lui paraissait au premier abord.

- Non, Maitre, je ne connaissais rien à cette histoire de cette fibule. La mienne était très usée et fermait mal ma capeline. Celle-ci trainait dans la boue, alors je me suis dit que je pouvais bien l'utiliser. Je ne pouvais pas savoir. Je ne vous connais pas, je ne connais pas ce royaume.

Sa voix tremble, ses yeux se remplissent de larmes, dans quel pétrin est-elle allée se fourrer ? Pendant qu'elle répond, elle continue désèspérement à retirer ce maudit bijou.

- Je suis désolée mais je n'y arrive pas. Avez-vous une technique pour la retirer ?

- Normal ! Tu ne pas la retirer seule ! La seule chose qui soit en ta faveur, ce sont tes efforts inutiles pour retire ce démon de ta pelisse. Personne, ici, ne se serait risqué à l'accrocher à son vêtement. Personne n'aurait pris le risque volontairement de mourir pour délivrer ce peuple. Je ne connais personne dans tout le royaume assez courageux pour réaliser un tel sacrifice, surtout pas ce vieux fou tout fripé. 

- Mourir ? Comment ça "Mourir" ? Pourquoi un sacrifice ? La panique envahie Javelotte. Ses lèvres tremblent, ses jambes la soutiennent à peine.

- Je suis trop jeune pour mourir, et je ne suis pas d'ici, moi ! Je n'appartiens pas à votre monde ou à votre peuple, je n'en sais rien. Je veux que vous preniez ce truc et rentrer chez moi, auprès de mon père et mes frères. Ce ne sont pas mes affaires ce truc. Faîtes quelques choses, je ne suis pas d'accord, je ne veux pas me sacrifier pour des gens que je ne connais même pas. 

- Et voilà quand on convoitise le bien d'autrui, on se retrouve dans des situations bien gênante, ricane Yaël.

- Yaël ! Je t'en pris ! Cette petite demoiselle ne pouvait pas savoir. Ne la tourmente pas plus, retourne plutôt chez Mama FRIODIV avant qu'elle ne s'aperçoive de ta disparition. 

- Ho ! Ho ! Mama Friodiv! Je vais me faire tuer, s'exclame le petit bonhomme comme s'il avait oublié un rendez-vous important. Mama FRIODIV semble avoir le pouvoir de le terroriser, il se met à gesticuler dans tous les sens et se précipite hors de la chapelle. Ce doit être une habitude chez lui de courir dans tous les sens.  Maitre Evloghie laisse échapper un petit rire de moquerie et se retourne vers la jeune fille.

- Maintenant, Mademoiselle Javelotte, simple paysanne, nous avons un problème qu'il va falloir régler, et vite !

Sans lui laisser le temps de répondre, il se lève et se dirige vers la porte par laquelle il était entré. Javelotte ignore si elle doit le suivre, rester sur place ou s'enfuir à toutes jambes.

- Suivez moi ! De tous manières vous ne pourriez pas quitter cet endroit même si vous le vouliez !

Cela répond à sa question. Javelotte n'a que le temps de glisser dans le couloir que la porte se referme déjà sur eux. Encore un couloir sombre ! Tout est si sombre ici, à croire que le seul soleil qui rayonne ici se porte sur leur visage. Elle court pratiquement derrière le Maitre qui ne prend pas la peine de jeter un coup d’œil derrière lui. Un couloir, une bifurcation , un autre couloir, ils ne savent pas faire simple ?  Soudain, une lumière vive envahie le couloir, Maitre Evloghie vient d'ouvrir une porte que Javelotte n'avait pas vu. La lumière est tellement forte et soudaine que Javelotte n'a d'autres solutions que de se cacher les yeux, stoppée en plein milieu du couloir. Par contre, cela n'a aucun effet sur  Maitre Evloghie, qui entre dans la pièce sans plus faire attention à la jeune fille.

- Ne restez pas dans le couloir, entrez ! Lui lance-t-il vertement. 

"Ne restez pas dans le couloir, il en a de bonnes, je ne vois rien". Javelotte soupire et tant bien que mal, emboite le pas du Maitre et tente d'ouvrir les yeux. En fait, cela est étonnant, mais une fois dans la pièce, la lumière est plus douce et ne lui brule plus la rétine. Javelotte peut alors regarder autout d'elle et le spectacle qui s'offre à elle l'impressionne.  Tout n'est que profusion d'ors et de pierres précieuses. Il y en a absolument partout ! Sur les meubles, les vêtements jetés en tas à même le sol, les lustres, dans et sur des coffres qui s'empilent les uns sur les autres, enchâssés dans les murs. Muette, elle ne sait où donner du regard.

- Javelotte, puisque tel est votre nom, tu vois tout ces richesses ? Ce n'est rien comparé à la richesse que tu portes sur toi ! Il est notre sauveur !

- Comment une simple attache peut-elle est votre sauveur ? 

- Comme le rituel le précise, il me suffit de le jeter dans l'eau glacée qui coule dans les Montagnes Noires à la troisième révolution du soleil pour que tout nos problèmes disparaissent.  Simplement le jeter dans l'eau glacée. Et justement, c'est aujourd'hui que je peux le faire. Mais voilà, il est sur toi !

- Mais veux vous le donner moi, de ce truc ! Je veux bien vous le rendre et sans aucune compensation, juré ! Je ne suis qu'une pauvre paysanne et je n'ai que faire de votre fibule, mon père sera bien heureux de m'en faire une autre qui aura, à mes yeux, bien plus de valeur que tout vos trésors rassemblés dans cette pièce

Des larmes coulent sur le visage de l'adolescente. Comme elle regrette de s'être emparée de cette fibule, de l'avoir accrochée à sa vieille pelisse sous prétexte que l'ancienne fermait avec difficulté.

- Ho ! Non ! Petite, tu n'es pas une simple paysanne comme tu sembles vouloir le croire. Tu es celle-là même qui peut nous délivrer d'un puissant maléfice jeté par Mama FRIODIV, puissante sorcière désireuse de s'approprier notre royaume. Elle nous a tous condamné, mon peuple et moi, à vivre dans le silence et la désolation. Elle a fait fuir tous les animaux, tous les bruits de la vie. Elle est très sensible au bruit et à la lumière, n'en supporte ni l'un ni l'autre. C'est pourquoi, Yaël est entré à son service, il est un des rares à ne pas illuminé. Cette femme est un monstre qui n'hésite pas à mettre à mort toutes personnes qui oseraient la contre dire. J'y ai perdu mon père, ma sœur et nombres de mes sujets."

- Comment a-telle pris le pouvoir dans votre royaume ? s'aventure Javelotte intriguée par l'histoire. Son père le lui répète vingt fois par jour : "Javelotte, ta curiosité te perdra." Il semble qu'il ait eu raison. 

Maitre Evloghie se laisse tomber dans un fauteil, près de la cheminée. Il a perdu de sa superbe. Les souvenirs lui font mal. 

- Après tout, je peux bien te le dire, puisque tu ne pourras le raconter à personne. Tout est de ma faute. Quand j'étais jeune, j'aimais parcourir mon royaume et les royaumes avoisinants tout le jour. Ma beauté et courir le monde étaient mes seuls préoccupations. Ma sœur et mon père s'occupaient de gérer les affaires courantes et je m'estimais au-dessus de ces tâches subalternes. Je ne trouvais plaisir qu'à admirer mon portrait et rechercher des étoffes et autres bijoux qui me mettraient en valeur. Quel sot ! Un jour que je parcourais un lointain royaume, je rencontrais une merveilleuse jeune fille, ne ressemblant à une autre. Cette jeune et jolie personne me demanda si je connaissais Maitre Evloghie, comme visiblement j'étais un voyageur. Un peu méfiant, je lui répondit qu'en effet je le connaissais et m’enquiers de la raison de sa demande. La jeune femme me montre le bijou que vous avez là et me raconte une sombre histoire : sa jeune sœur serait morte à cause de ce bijou et elle s'était laissé dire que je serais en mesure de la lui racheter afin de neutraliser le pouvoir maléfique de la pierre rouge au centre. J'étais jeune et prétentieux, comme vous l'avez surement compris. Fier de savoir que ma réputation avait franchie les frontières de mon royaume, je lui déclinais mon identité. Elle me tendis alors ce bijou que je saisi entre mes doigts. A peine, l'avais-je touché, que je tombais en léthargie.

 

Javelotte

 

 

A peine l'avais-je prise dans la main que je tombais en léthargie. Je ne pouvais plus bouger. La chamante demoiselle montra alors son vrai visage. Elle se moqua ouvertement de moi, prit possession de mon royaume, asservit autant qu'elle le put mon peuple sans que je ne puisse faire le moindre geste pour l'en empêcher. Je la voyais, je l'entendais, elle me donnais à manger, mais je ne pouvais ni bouger, ni parler. Et, sans l'intervention de Yaël, alors à mon service, je serais toujours en son pouvoir. Je ne sais dire où et comment il a trouvé le breuvage ayant le pouvoir d’annihiler les effets de la fibule. Tout ce que je sais c'est qu'à peine avais-je eu quelques gouttes sur les lèvres, la vie revint en moi. Avec la complicité de Yaël, j'ai réussi à me cacher dans le seul lieu que Mama FRIODIV craint et depuis il veille sur moi comme une mère. Mama Friodriv n'aime pas les ruelles sombres, elle ne s'y sent pas en sécurité, et elle a raison. Du coup, elle reste enfermée dans son, dans Mon palais. Yaël lui apporte tout ce dont elle a besoin, mes gens ne travaillent que pour elle. Moi-même, je travaille pour elle. Revêtu de vêtements de pauvres hères, je lui apporte la nourriture et fait son ménage. Chaque jour, je fouille dans ses bijoux dans l'espoir de retrouver cette Fibule. J'ignorais ce qu'elle en avait fait. Je m'étais dit qu'elle avait du trouver un bonne cachette mais jamais je n'aurais imaginer qu'elle possédait une telle magie pour l'envoyer hors de mon royaume. 

- Mais pourquoi ne pas utiliser la potion de Yaël pour désactiver la fibule ? Peut-être n'est-il pas nécessaire de la jeter dans l'eau courante ? tente Javelotte.

- Si cela était si simple. Yaël s'est introduit dans la chambre fort de Mama Friodiv, a découvert son grimoire. Jour après jour, il l'a lu, recopier les pages les plus importantes. Grâce à ce subterfuge, nous avons pu apprendre tout ce qu'il y avait à apprendre sur cette maudite Fibule ! Nous n'avons pas d'autres choix que celui de la jeter dans l'eau courante. Je n'ai rien contre vous petite Javelotte, mais mon peuple passe avant une inconnue."

- Je peux sans doute glisser ma tête hors de la pelisse. Je ne l'ai pas si serré que cela après tout.

 Joignant le geste à la parole, Javelotte se tortille dans tous les sens dans une tentative désespérée pour retirer la vieille pelisse. Le tissus élimé, retenant à peine ne froid, résiste. Impensable ! Il est si fin qu'il protège à peine de la pluie mais là, il ne veut rien savoir, il résiste. Il s'accroche aux épaules, se serre autour du cou, il refuse de s'écarter de la jeune fille. Maitre Evloghie, sensible au désarroi de Javelotte, se saisi d'un drôle outil fin et pointu et s'attaque à son tour à la fibule, tente de la dégrafer. Il a beau s'acharner sur le bijou, rien y fait !

- Je ne comprends pas, je ne comprends pas ! Yaël me l'a apporté en me disant qu'avec ça j'arriverais à l'ouvrir ! Pourquoi ça ne marche  pas ? Vous savez, j'ai été stupide, je le conçois, mais je ne suis pas méchant. Si nous le pouvons, nous vous retirerons ce vêtement et vous laisserons la vie sauve. 

- Peut-être que Yaël saurait nous aidé ?

- Il ne reviendra plus de la journée, et nous ne pouvons pas attendre plus longtemps ! Evloghie se met à tourner en rond en frappant le sol du pied, comme un adolescent capricieux.

- Et si nous allions auprès de vos chutes d'eau, peut-être que la fibule s'ouvrira ? A peine la phrase prononcée que Javelotte se rend compte de l'énormité de ce qu'elle vient de dire. - Enfin, je n'en suis pas sûre ... peut-être que je me trompe ?

Malheureusement, l'idée séduit immédiatement Maitre Evloghie.

- Non, non, Javelotte ! Tu as raison, bien sûr ! j'aurais du y penser ! L'eau anéantie tous les maléfices ! Allons z-y !

Sans perdre plus de temps, il saisit la jeune fille par le bras et l'entraine dans les écuries, jouxtant la chapelle. Prestement, il libère deux chevaux, soulève Javelotte dans les airs et la dépose sur l'animal devant lui. Javelotte n'est jamais monté sur cette drôle de bête, elle ne sait pas trop comment se tenir. Elle s'agrippe comme elle peut à la selle alors que Maître Evloghie donne l'ordre aux animaux d'avancer. Le trajet est périlleux pour une personne ne sachant pas monter à cheval. Javelotte a l'impression d'avoir été roué de coups tant elle a mal aux os. Et même si le paysage est magnifique, paradisiaque, il n'émeut pas la jeune fille.

Ils approchent des Chutes d'Eaux Glacées, le vacarme les informe. Derrière de haut arbres, Javelotte apperçoit un fleuve. E  s'approchant, elle constate que ce fleuve tombe à la verticale dans la terre. Il disparait littéralement dans un énorme trou au sol.  

Maître Evloghie ne lui laisse pas le temps de contempler les environs, il la dépose au sol et la rapproche des chutes. Les mains tremblantes, il se saisit de l'outil, le fait tomber au sol, le relève et s'acharne sur la fibule. Des gouttes sueurs perlent sur son front, il n'a plus rien de l'être majestueux qui l'a accueilli froidement. Ses mains tremblent, il jure entre ses dents. Mais la fibule résiste ! Javelotte sent la peur la submergée. Elle comprend rapidement que dans l'état où se trouve Maitre Evloghie, elle a peu de chance de s'en sortir vivante. Dans un sursaut, elle se recule, gifle Evloghie, tente de s'enfuir, mais pour aller où ? Elle tourne sur elle-même s'approche un peu trop du bord, le maitre saisit l'occasion et d'un coup, la projette dans l'eau glacée. A peine le temps de pousser un cri et l'eau se referme sur la jeune fille. Avant de sombrer dans l'inconscient, elle a tout juste le temps d'entendre le rire de Victoire de Maitre Evloghie. Javelotte vient d'être avalée par le cour d'eau.

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-Hey ! Ho ! Javelotte ! Réveille toi petite !

Débousollée, Javelotte ouvre les yeux. Quoi ? Je suis en vie ? Elle devine d'abort une ombre devant elle. L'image se précise petit à petit : Son père?  Elle est dans les bras de son père !

- Ben ma beauté, qu'est-ce qui t'es arrivée ? Comme je ne te voyais pas revenir à la maison, je me suis inquiété !

- Papa ?

- Ben qui veux-tu que ce soit, ma toute belle ?

Javelotte se blottit contre son père, elle n'en revient pas ! Elle tourne la tête à gauche puis à droite. la tempête s'est calmée, le grivals paissent tranquillement dans la pâture, les frères ont fermé les enclos, rempli la charrette, tout est prêt pour le marché. Javelotte se rend compte qu'elle est toujours assise dans la boue puis la mémoire lui revient. D'un geste brusque, elle met la main sur sa fibule. C'est son ancienne, sa bonne vieille fibule qui ne lui a jamais fait défaut. Javelotte soupir, elle est en sécurité.

- Ma princesse, aujourd'hui, tu vas restée à la maison, tes frères iront faire le marché, je pense que les grivals ont dû te bousculer et tu t'es cognée la tête. Mon ange, tout va bien maintenant, nous allons rentrer au chaud. J'ai eu tellement peur quand je t'ai vu allongé dans la boue. 

Doucement, il aide sa fille a se remettre debout. Javelotte s'accorche à son père, elle est heureuse, vraiment heureuse. Jamais de sa vie, elle n'a ressenti un tel bonheur d'être auprès de lui. Elle se serre contre lui et se laisse guider vers la maison. 

 

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