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Ecrire, c'est transformer à l'aide de la grammaire un chagrin en bonheur. Jean d'Ormesson

La mélancolie, Marc !

Publié le 5 Avril 2016 par Evglantine in Nouvelles

Des petites notes de musique s'activent dans la tête. Depuis le levé, il les entend se mettre en chant puis se désaccorder. Elles tourbillonnent, virevoltent, s'échappent, reviennent, le narguent. Cela fait plusieurs jours qu'il trime sur cette chanson. Si les paroles sont venues simplement, comme par enchantement, la musique, qu'il croyait avoir, ne cesse de lui jouer des tours. Do ? Ré ? Do et puis ça n'a aucun sens. Dièse, silence, croches et re-crottes ! Les partitions s'en mêlent. Allegro ? Piano ? Ras le boulot !

Marc jette rageusement ses crayons et ses cahiers. Deux heures qu'il est devant son clavier et rien ne sort. Rien qui ne soit intéressant. Ce matin, il ne chante plus, il ne musique plus. Rien !

- Mais c'est pas possible, ça ! S'exclame-t-il.

Seul dans son studio, il ne sait plus écrire, plus transcrire la musique qu'il entend dans sa tête. Désespéré, il regarde ses guitares se moquer de lui. Posées sur les fauteuils, elles attendent, attendent depuis des jours. La poussière commence à pâlir leur éclat. Une serviette éponge a pris domicile sur le manche de l'ibanez alors que la Fender dort sur un jeans sale. Plus rien dans ce logement ne rappelle le compositeur qui y loge.

La musique déserte doucement les murs sombres, la cuisine est submergé de vaisselles sales.

La trace d'un prospectus resté trop longtemps sur l'évier décore la cuisine sans vie. Des ustensiles dorment ça et là, dans un ordre aléatoire.

C'est la première fois que Marc peine sur une composition. Jusqu'ici, quand les paroles venaient, la musique les accompagnaient et vise et versa.

Depuis le début de l'année rien ne sort. Enfin, rien de valable ne sort de son salon. Comme chaque matin, il prend son blouson, son casque et sort. Il ne tirera plus rien de son travail.

Pourtant, il y avait cru, ce matin au levé. Ils les entendaient dans sa tête. Elles s'harmonisaient avec le texte. Ils s’entremêlaient et l'album tout entier prenait corps. Précipitamment, ne voulant pas perdre ce moment, il avait sauté du lit et sans prendre la peine de s'habiller, il s'était installer derrière son clavier pour jeter les premières notes, les premières portées.

A peine eut-il posé l'index sur la touche, que la note suivante s'échappe en riant. Non ! Semblait-elle dire, tu n'aurais pas la suite. La suite je la connais, mais je la garde pour moi. Mes sœurs ne viendront pas t'aider. Tu vas rester devant ton clavier à te morfondre. Nous ne chanterons plus pour toi, c'est terminé !

Marc a insisté, à supplié, à imploré sa muse, mais rien. Sa muse reste muette, pire, elle ne le regarde plus. Elle ne lui parle plus à l'oreille comme elle en avait pris l'habitude ces quarante dernières années.

70 jours qu'il se réveille, qu'il tente d'écrire la musique qu'il a en tête. 70 jours qu'il peine.

Après une heure d'acharnement, il a pris sa douche, s'est habillé puis s'est assis à nouveau derrière son clavier. Ses doigts l'invitaient à continuer. Le petit fourmillement habituel le taquinait. Il allait y arriver.

- Dong !

- Dong ?

Mais depuis quand un clavier fait-il « Dong » ? Marc a ragé, a râlé, en a presque pleuré et ? RIEN ! Rien de Rien !

- J'en ai marre de chez marre ! S'est-il énervé, puis s'en est suivi une litanie de gros mots tous aussi stupides les uns que les autres. Qu'espérait-il à jurer de la sorte ? Un retour de muse ?

Marc franchie la porte du studio, l'air plus maussade que jamais. Il dégringole les 4 étages en courant dans les escaliers. Il veut faire sortir la tristesse et la grisaille . Il se doit de redevenir lui-même.

Il traverse la cour à grandes enjambées et enfourche sa California 1400 custom, direction la mer. Il n'en peut plus de rester enfermé dans son petit studio. Il lui faut de l'espace, de l'air.

Boulevard des émigrés, boulevard de la Teignousse, Marc s'arrête à la Pointe du Conguel. Cale sa moto puis retire son casque. Le vent le gifle en pleine face.

Les vagues sont hautes. Il les voit mais ne les admire pas. Il sent le vent mais ne l'apprécie pas. Il aimerait que la pluie le lave, le débarrasse de sa mélancolie. Il s'assoie contre sa roue avant, et attend.

Personne ne viendra, pas aujourd'hui, il a laissé passer sa chance. Il le sait.

C'est la cause même de sa panne d'inspiration. Il a voulu jouer le mec blasé et costaud. Celui qui ne craint rien et qui peut tout gérer tout seul, qui n'a besoin de personnes.

Voilà le résultat ! Plus d'inspiration !

Il reste seul à son clavier. Pas une note ne se joint à l'autre. Seules des paroles mélancoliques lui viennent en tête.

Bien sur, il y reste les copains. Bien sur, ils viennent le chercher pour lui changer les idées. De longues promenades en moto, des soirées entre rires et boissons, des concerts, bien sur…

Mais partout où il se rend, il y a ce vide en lui.

Cette grisaille accrochée à lui comme une bernique à son rocher qui lui fait voir la vie en triste.

Au début, Marc ne savait pas d'où provenait cette mélancolie. Il a consulté plusieurs médecins qui, après les examens d'usage, lui ont tous dit la même chose : elle n'est pas physique, mais psychologique cette tristesse. Marc n'a pas compris tout de suite. On dira même qu'il a mis du temps à comprendre ce qui lui arrivait. Jusqu'à y a pas si longtemps, le ciel était clair même par temps de pluie. Tout était serein. Il était heureux. Oui, il peut le dire : il était heureux. Un petit bonheur tranquille, sans grand éclat mais réconfortant. Un bonheur que l'on amène partout avec soi, qui fait que les gens vous parlent, vous sourient, vous envient aussi. De ces petits bonheurs qui font dire que la vie est chouette.

Comment comprendre que, sans prévenir, sans tambours ni trompettes, ce petit bonheur a commencé à s'effacer ? Lentement, il a laissé la place à la grisaille. Au début, s'était presque imperceptible. Marc vaquait à ses occupations : musique, ménage, copains, moto avec juste un peu plus de difficulté. Il mettait cela sur le compte de la fatigue. Il se promit de se coucher plus tôt, de mieux manger, de mieux s'organiser. Il rencontra des nouvelles personnes, reçu des femmes chez lui sans rien leur promettre.

La fatigue repointait le bout de son nez après seulement une heure tout seul.

En regardant la télévision, en écoutant ses musiques préférées, elle l'accompagnait. Même feu Lenny ne lui faisait plus rien quand il chantait. C'est à peine s'il s'énervait quand on lui disait qu'AXL Rose allait remplacer le chanteur d'AC/DC.

Le temps passait, les jours le trouvaient de plus en plus taciturne.

Alors Marc se mit en devoir de comprendre quand et pourquoi était-il devenu ainsi. Il se remémora les derniers jours, les dernières semaines. Que s'était-il de passer de différents dans sa vie ? Pourquoi ?

Et un matin, il se souvint ! La réponse était là !

Elle n'est pas apparue franchement d'un coup d'un seul, non ! Au début, elle y alla sur la pointe des pieds. Elle avait compris qu'il souffrait et que lui ne l'avait pas encore accepté. Elle ne voulait en aucun cas le faire souffrir d'avantage. Idée par idée, elle s'insinua dans son esprit. La vérité sait à quel point elle peut faire mal.

D'abord une image, puis une autre. Un sourire, puis un rire. Une caresse, puis une odeur. Un visage, puis un corps. Des mois, des années. Une silhouette. Quelques conversations, quelques fous rires. Juste une amie !

Puis, des conversations plus sérieuses. Des propos plus intimes. Une rencontre différente de toutes les autres. Des moments de rires, de tranquillité, de bonheurs. Son départ à elle, sa bravade à lui. Non ! Il n'a besoin de personne pour vivre. Il le lui a dit et répété tout le week-end, le dernier week-end. Elle n'a rien dit. Ils ont bu, un peu. Ils ont marché, tout l'après-midi. Ils ont parlé, beaucoup. Les deux nuits ensembles, ils ont parlé jusqu'au petit matin. Rien d'autre entre eux. Des mots, des gentillesses, quelques caresses et on se sépare heureux, comme ces deux amis qu'ils sont depuis dix ans.

En rentrant, ils ont continué à se parler, de choses et d'autres. Il lui a dit qu'il recevait une autre femme, plusieurs jours, pour autre chose. Elle lui a dit : amuse toi bien.

Il l'a écouté.

La femme blonde est partie.

La fatigue est arrivée.

Il ne pensait pas à la femme blonde et à tout ce qu'elle lui avait fait et donné. Non !

Il pensait à elle et ses cheveux châtains, son sourire, son odeur, sa façon de bouger.

Au début, il ne comprenait pas.

Pourquoi elle ?

Elle est si différente.

Pas du tout ce qu'il attend d'une femme.

Elle est libre.

Elle est indépendante.

Elle l'aime comme il est.

Elle ne lui demande rien.

Elle est tout ce qui lui plaît.

Elle est si différente qu'il n'a pas remarqué qu'elle est tout ce qui lui plaît.

Marc, adossé contre la roue avant de sa guzzi, comprend enfin qu'il a laissé partir la femme qui lui plaisait. Tout ça pour prouver à tout le monde qu'il n'avait besoin de personne pour vivre. Tout ça pour prouver qu'il était un homme !

Et si, être un homme était aussi savoir reconnaître l'amour quand il frappe à votre porte ?

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