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Ecrire, c'est transformer à l'aide de la grammaire un chagrin en bonheur. Jean d'Ormesson

Marianne

Publié le 31 Janvier 2016 par Evglantine in Nouvelles

Marianne
Le sourire aux lèvres, Marianne s’engage sur la route sinueuse de la plage. Depuis combien de temps ne s’était-elle pas sentie si détendue, si tranquille ? Une éternité ! Elle avait oublié combien elle aimait l’odeur de la mer, le sel sur les lèvres, le soleil sur la peau.

Des brides de bonheurs anciens lui reviennent en mémoire : journées d’insouciance, et heures de farnientes. La falaise crayeuse d’un côté, la mer et ses plages, un endroit paradisiaque pour grandir. La blancheur de la pierre, le bleu de la mer, les couleurs des jeux, que de souvenirs. Seule au volant de la voiture de location, Marianne savourait ce moment unique de retour aux sources.

La route étroite, coincée entre eau et falaise, se révélait souvent dangereuse pour les touristes, mais Marianne en connaissait les traîtrises et les risques. La descente invite à la vitesse et nombreux sont ceux qui s’y sont laissés prendre. Chaque été, la route de la falaise demande son lot de victime, et l’obtenait. C’est pourquoi, la jeune femme conduit prudemment.

La station locale distille des chansons traditionnelles Marianne se surprend à les chantonner. Elle qui n’a plus parler la langue de ses ancêtres depuis bientôt quinze ans, se surprend à comprendre les textes et à les fredonner. Les personnes qui ont peuplé son enfance lui reviennent à la mémoire. Comme c’est agréable de rouler en terre connue. Il y fait plus beau, plus chaud, plus … plus…

Marianne avait économisé sou par sou pour offrir ce séjour à sa petite famille. Jacques, son mari, pense encore que out cela n’est que folie ! Ils sont tous loger chez les parents de sa femme, c’est exigu, on se sent « entassé ». Mais c’est tout Jacques ! Il faut qu’il s’inquiète ! Quant aux deux enfants, ils ont sauté de joie à l’idée de la plage, du soleil et du farniente. Depuis leur arrivée, ils n’ont quasiment pas décollé de la piscine, bronzage intensif et copains. Jacques a fini par se trouver un complice en la personne de Manuel, neveu de sa femme. L’adolescent de 15 ans passionné de jeux vidéo, rivé sur sa console tout le jour est ravi d’avoir un adversaire. Ils ont fait de la chambre des enfants leur QG d’où résonnent des musiques, des bruits de combats et des cris et de victoire et de défaite.

Marianne s’est donc décidée à retrouver son amie d’enfance et de profiter d’être parmi ses souvenirs pour les faire revivre. Revoir la fontaine où, elle et Carla riaient aux éclats en regardant les garçons se ridiculiser à qui mieux mieux afin d’attirer leurs attentions. Ils ont grandi ensemble se chamaillant, se disputant, se consolant. Marianne se souvient des rires ces soirs de fête, ces longs après-midis à la plage, sous le préau de l’école. Marianne se remémore avec nostalgie cette dernière soirée, lors de la fête annuelle où elle avait finit dans la fontaine. Sa jolie robe rouge complètement trempée lui collait au corps, l’eau dégoulinait de ses cheveux noirs. Elle avait ces dix-sept ans rayonnant qui faisait se tourner les têtes. Ce soir-là, un étranger avait rejoint le groupe. Un grand français aux yeux bleu et aux cheveux clairs, cousin d’un des garçons de la bande. Carla et elle étaient aussitôt tombées sous son charme.

Rapidement, Marianne chasse ces images, elle doit rester prudente, la voiture vient de s’engager sur la petite route du village. Mon dieu, comme ces routes sont étroites, comme la voiture est large ! Cela explique facilement le nombre d’accidents : les voitures d’aujourd’hui vont trop vite, la route est trop dangereuse. Comme pour lui donner raison, un arbre lui barre la route. Marianne écrase le frein et s’arrête à quelques centimètres de l’obstacle, seul le pare- choc avant heurte le tronc. Le cœur battant, Marianne pose sa tête sur le volant.

Elle a eu peur !

 

Quelqu’un frappe au carreau de la porte conducteur, elle sursaute. Un jeune homme à la crinière noire lui fait signe de baisser sa vitre. Sans réfléchir, elle acquiesce. Le jeune homme se penche à la portière.

- Vous ne pouvez pas passer. dit-il laconiquement.

- J’avais remarqué ! répond vivement Marianne. Un tronc de cette taille ne passe pas inaperçu. Je vais faire demi-tour et passer par la route des cols.

- La route des cols est fermée, lance-t-il durement.

- Pourquoi ? Marianne sent l’agacement poindre son nez.

- C’est la fête aujourd’hui, alors on n’avance pas ! dit le jeune homme un peu buté.

è C’est aujourd’hui ? Comme c’est intéressant, j’ai de la chance. Je vais justement au village pour ça.

Marianne est ravie, elle est venue pour la fête.

Elle enclenche la marche arrière et commence à s’éloigner de l’arbre. Le jeune homme tente de lui barrer le chemin en se positionnant derrière la voiture de Marianne. La jeune femme perd patience, sort de la voiture et se plante devant l’adolescent.

- Écoutez jeune homme, j’allais à cette foutue fête avant même que vous ne soyez un projet d’avenir pour vos parents, alors vous allez me laisser passer.

- La fête ce n’est que pour les habitants du village, pas pour les touristes, s’entête le garçon.

- Je suis née dans ce village, j’ai grandi dans ce village, alors vous allez me laisser passer, s’il vous plaît !

Marianne sent la colère montée en elle.

- Pourquoi vous êtes partie ? Vous n’aimiez pas le village ?

C’est un véritable interrogatoire auquel se livre le jeune homme.

- C’est une longue histoire, mais aujourd’hui, j’aimerais y retourner, si cela ne vous dérange pas ?

- Non Madame. Je vais vous montrer par où passer…

L’entendre l’appeler « Madame » l’a fait tiquer : comme le temps passe ! Son fils aîné vient de fêter ses quatorze ans, sa cadette bientôt ses douze, Marianne a l’âge d’être appelé « Madame ».

- Je suppose que la route d’Hyacinthe est libre ? Tente-elle pour bien montrer son appartenance au village.

- Oui, elle l’est, je vous laisse faire demi-tour. Ah, une dernière chose, vous serez obligé de laisser votre voiture proche de la ferme des sangliers. La route est bloquée après.

Le jeune garçon se laisse aller à une ébauche d’un sourire.

- La ferme des sangliers ? Mais c’est au moins à deux kilomètres du centre bourg, non ?

Il se moque d’elle !

- Mon frère viendra vous chercher avec son cheval et vous y conduira, d’accord ?

- Comment je saurais que c’est votre frère ?

- On est jumeaux, rétorque le jeune homme d’un air pincé.

- Effectivement, ça facilite les choses. Attends ! Vous êtes jumeaux ? Vous avez quel âge ?

- Seize, mais il paraît qu’on fait plus.

- Votre mère ne s’appellerait pas Carla par hasard ?

- Si ! Vous la connaissez ?

- Ma meilleure amie quand j’habitais au village. Mais je croyais qu’elle …

Marianne n’a pas le temps de finir sa phrase, l’adolescent disparaît dans les taillis.

Préférant ne pas insister, elle embraye et commence sa marche arrière. Le ciel se pare d’une douce couleur rouge, alors qu’elle arrive aux abords de la ferme aux sangliers. Une copie conforme du premier jeune homme (ou le même?) l’attend, assis tranquillement par terre. A ses côtés piaffent deux chevaux à la robe isabelle fumée. Marianne sourit, elle n’a plus fait d’équitation depuis son mariage avec Jacques et son départ pour la France. Elle se gare, sort de la voiture, et se dirige vers l’adolescent. Dès qu’il entend des pas venir vers lui, il se lève d’un bond et se plante devant Marianne. Sans un mot, il lui tend les rênes d’un des chevaux puis saute sur le sien. Il laisse tout juste le temps à Marianne de se mettre en selle avant d’ordonner à son cheval d’avancer. Heureusement que l’on n’oublie pas, se dit Marianne. Quelques minutes suffisent pour atteindre le centre du village et la fameuse fontaine. La musique lui parvient bien avant de ne voir les gens sur la place du village. Le son des crins- crins, le bruit des rires, des courses des enfants lui font chaud au cœur. La lumière du jour est lumineuse sur la place alors que le ciel était rougeoyant sur la route. Marianne ne voit pas la différence, elle est littéralement captivée par la fête. Ils sont tous là, tous ceux qu’elle connaissait quand elle était enfant : Le père Franchiche, Zim, La vieille Flo, et Carla. Sa Carla, qu’elle n’a pas vue depuis près de cinq ans. Elle est belle dans sa robe rose et blanche. Carla lui sourit. Elle n’a pas changé, ou si peu. Elle lui tend les mains, une invite à venir les rejoindre. Ses deux grands garçons, ses jumeaux, se placent derrière leur mère et à leur tour, l’invitent les rejoindre. Pourquoi le fait de voir les enfants de sa meilleure amie lui paraît si incongru ? Marianne a l’esprit embrumé, elle ne comprend pas. Elle s’approche de son amie, sans arriver à la rejoindre. Tout est flou autour d’eux. La lumière est de plus en plus vive et belle. Marianne se sent tellement bien sur cette place. Elle est heureuse.

Jacques éteint la console de jeu, le soleil vient de se coucher, les enfants ont dîné, Marc est reparti chez lui, Marianne n’est pas encore rentrée. Il est inquiet. Ce n’est pas dans les habitudes de sa femme de s’absenter sans prévenir. En quinze ans de mariage, Marianne n’est jamais rentrée en retard sans l’avoir au préalable averti. Jacques culpabilise, il s’en veut pour toutes les heures passées sur la console, à jouer tranquillement alors que Marianne voulait lui faire découvrir le pays de son enfance. Il n’y était venu qu’une fois, pendant les dernières grandes vacances avant d’entrer en fac. Cette année-là, il a rencontré Marianne. Elle était magnifique, l’eau ruisselant sur sa robe rouge alors qu’elle se relevait, au beau milieu de la fontaine du village.

La nuit est tombée et Marianne n’est toujours pas rentrée. Jacques a déjà téléphoné à tous les hôpitaux de la région, mais personne ne l’a vu. Cela le réconforte un peu. Dans le même temps, la mère de sa femme contacte les membres de la famille. Pour le moment, personne ne sait rien. L’angoisse envahie peu à peu la maison. Jacques et sa belle-mère sont côte à côte sur le canapé. Ils n’osent parler. Ils attendent.

On frappe à la porte. Jacques se précipite. Deux hommes en uniforme ! Le plus âgé prend la parole :

- Bonsoir monsieur, pouvons-nous entrer, s’il vous plait ?

- Marianne ? Le cri vient de jaillir de la cuisine. La mère de la jeune femme accourt. Jacques s’écarte et laisse entrer les deux gendarmes.

Ce n’est pas possible ! Jacques est tétanisé, il ne sait ni quoi dire, ni quoi faire. Celui qui a demandé à entrer prend doucement le bras de la vieille dame et la guide vers le canapé gris délavée. Il la fait assoir doucement. Il n’aime pas annoncer ce genre de nouvelle.

Jacques les regarde, totalement désorienté. Il est arrivé quelque chose à Marianne et il ne sait pas comment réagir.

- Que …? Comment ? Quoi ?

- Sur la route du village… un arbre au milieu de la route… Il n’y avait plus rien à faire quand les secours sont arrivés. Elle n’a pas souffert. Sincèrement désolé.

Un cri résonne dans le salon. Jacques ne sait pas que c’est son cri qui résonne. Il se laisse tomber sur le tapis, se roule en boule.

- Sur la même route que pour Carla et les jumeaux, dit tristement la mère. Cette maudite route !

Jacques ne dit plus rien, il avait toujours détesté ce village !

 

 

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